par Jacques Victor Giraud « Ofelia is a Witch » de Sanjin Cosabic nous accueille, grande toile impressionnante par son format et ses multiples reflets. Les fleurs peintes en épaisseur se laissent discerner et se singularisent par leurs pétales. La peinture est recouverte de paillettes, seules les pétales des fleurs de la clématite troublent l’uniformité de ce miroitement. La disposition des fleurs de cette plante grimpante, infère les nymphéas de Claude Monet. L’argent qui recouvre en épaisseur la toile offre son miroitement et noie le sujet. La lumière convoquée fait varier les nuances et soumet l’espace tout en assignant le corps du sujet. « Wild Sex dpi » de Diego Movilla, grand format vertical juste posé contre le mur mitoyen, révèle dans un monochrome rose la manifestation unitaire de l’espace. Des découpes opérées en une succession de rectangles démasquent les entailles de Fontana. L’énergie négative de ces lacérations (à partir de 1949) se montre appropriée au dépassement des limites traditionnelles du tableau. Ces Concepts Spatiaux offrent différentes variations jusqu’en 1965. Cet agrandissement pixélisé d’un tableau de Lucio Fontana dévoile, dans les découpes sur dibond, avec subtilité, un vide, sur ce mur de soutien. La fente d’origine devient une succession de figures à angles droits dont les côtés sont égaux deux à deux. Sur le vide, un dégradé de gris retrace les formes évidées bien définies. Ce qui constituait l’acte devient un jeu d’ombres et de lumières. Voilà pour l’entrée dans ce monde et à la suite : un oeil de boeuf constitué d’une toile orange découpée, comme le fruit de la même couleur, fait foi en son centre, de la croix de bois du châssis. La pelure (s’)échoue, avec grâce, en forme sinueuse sur le sol. L’art des années 60-70 est agrémenté d’un sourire pop. Une structure, constituée de châssis identiques, exhibe ses vides. L’absence de toile met au jour les points de vue et expose les différentes compositions à la lumière de ces nouveaux cadrages. L’air ainsi circulant étale au grand jour le devenir incertain de cette architecture. En rythme, les cales qui étaient fichées sur un panneau blanc « Download »,, 2006, retrouvent ici leur emplacement premier. L’absence du support les représente décoratives. La fragilité de ce château de cartes laisse place au « Lego n°1 » ou « Métaphore n°6 ». Autre construction, constituée de lignes qui créent un labyrinthe évidé de son centre. Le labyrinthe classique-religieux est, avec une seule entrée et sortie, un seul et unique centre-but, une représentation métaphorique du dogme. Cette peinture noire laisse apparaître les traces de son dépôt. Les lignes blanches, tracées méthodiquement, bâtissent alors sur les bords une accumulation de petits labyrinthes. L’entrée et la sortie importent peu. La notion de l’infini s’oppose à la pensée unique. Les constructions géométriques évoluent comme le plan de demeures construites autour d’un impossible. Au plus réel : sorte de bidonville en construction autour de cet échec de la doctrine, qui happe le regard, la vie. Bidonville (en Afrique du nord dans le dictionnaire) puis abris de fortune qui se répandent. Favelas sur les hauteurs semblent pouvoir proliférer à l’extérieur du cadre. Au centre, demeure l’abîme, aujourd’hui un tank. Dans cette nuit il fallait bien un cavalier. Alors, « Man on the Moon », un néon qui reprend la terminologie de l’écriture informatique pour annuler les opérations précédentes. Le caractère non imprimable avait été réalisé en volume, chic et soigné (comme le veut la tendance actuelle), en 2010. Le « Ctrl+Z » tampon de 2010 est aujourd’hui plus lumineux. Le contrôle d’aujourd’hui devient l’enseigne des villes. Le Z de la seconde touche annule. Il sort de la pointe de son épée le feuilleton désuet mais ironiquement et finalement quotidien. Ce sourire en lumière blanche, sans moustache et surtout sans masque, accompagne « Chalkboard Sessions – Bomb the Chalkboard n°2 ». Un tableau noir issu d’une école de la mémoire est au mur. Un cadre, massif et fruste, le contient. Les inscriptions, taches, en font un réceptacle. La craie, la couleur, le graphite débordent. Ce tableau est issu d’une série importante, où l’expérience prime et n’a de cesse. Cela nécessite un long travail de recherches, documentation, croquis, notes. Le tableau comme réceptacle, où tout s’écrit, s’efface, se réécrit. Seul, il oblige les inscriptions à sortir du cadre. La vie doit y être présente. Un miroir givré, apporté pour l’occasion, inscrit terreur dans le reflet de notre visage. Des barres fluo sortant de panneaux de travaux, du mur au tableau, deviennent argentées. Collages, nombre d’or, valeurs scientifiques, monétaires s’inscrivent en collage ou écrits. Comme nous sommes la veille du 11 septembre (le vernissage de l’exposition), les tours du World Trade Center sont représentées par un dessin technique. Les graffitis, les notes prises sur le vif sont consignées. WTC 7 est le troisième bâtiment, tombé en chute libre, sans avoir été touché. « Wacuum » introduit la condition de la chute libre dans la totale absence d’air. C’est d’la bombe bébé, Ground Zero, democracy… Le nom du propriétaire des Twin Towers est visible sur le sol. Six semaines avant les attentats, il change son contrat d’assurance. Le nouveau contrat stipule qu’il sera désormais remboursé en totalité en cas d’attaque terroriste… Tout s’interfère. Avec intensité, en état de latence, une esquisse, maîtrisée, qui incorpore l’engagement dans l’inscription. Un cri face au monde. À l’inverse de Diego Movilla qui soustrait, Sanjin Cosabic rajoute. Il n’a de cesse de mêler le quotidien avec l’universel. Les galaxies géopolitiques rejoignent dans leur simplicité les dessins « S/T ». Un paquet de Camel conserve son imagerie mais, devient Gitane, la marque atteste d’une autre origine. Cette dernière a à voir avec l’histoire. Celle de l’Algérie, celle apprise devant les tableaux noirs devenus verts puis blancs. Pareil pour l’image américaine qui devient par nomination une marque : espagnole. L’histoire, tant contée, est revue et inversée. Les découvertes vont dans les deux sens. Elles retranscrivent aujourd’hui notre état. Droits et libertés bafoués, nouvel esclavage promu par le libéralisme et la mondialisation, instauration de la peur… La fougue de Sanjin, le calcul de Diego, refusent l’asservissement. « Two in the Pink, One in the Stinck » offre une série de dessins ou plutôt empreintes. Ces dernières sont réalisées à la bombe rose fluo. Un langage des mains s’expose. Ce n’est pas celui des sourds-muets. Encore moins celui des mudrâ du Kathâkali, ni l’empreinte des mains sur les parois des grottes préhistoriques (hum-hum), mais celui qui provient de nos rues. Avec casquettes ou mobylettes, écouteurs … les adolescents pratiquent ce langage. Dans ces empreintes les avant-bras comme les mains sont visibles en négatif. Il y a de la danse, du mouvement presto. La main gauche frappe le milieu du bras opposé. L’avant-bras droit se relève. La main se ferme. Le poing est levé. Tout valse… Batterie, percussions, cymbales… plus tard les violons. Alors la parole puis l’écrit… dans la surexposition de ce monde?!! Vient « S/T », le livre de Léon Battista Alberti, aux éditions Allia. Il est découpé dans son bloc. Il est dorénavant l’image d’une bulle de bande dessinée… Le titre est : De Pictura. Tout cela est calme et déterminé. Un portrait façon autoportrait de Picasso est signé du sigle Citroën. Ce dessin de Diego est aussitôt accompagné d’un empilement de toiles et de cadres retournés, par nos deux compères, contre le mur. Cette mise en espace, Rutault-isée, issue du monde de l’art et de la consommation, dénonce avec humour notre environnement. Une édition en huit exemplaires de 1980 : 2 peintures/méthode 129, table basse ronde en bois, élément de forme ronde découpé de la table, accroché au mur et peint de la même couleur que le mur sur lequel il est accroché. L’est-y pas beau mon salon?!! « Moonlight Shadow » pièce réalisée en commun, présente deux projecteurs nommés Wall-E, en référence à un film d’animation où un petit robot, programmé au nettoyage, survit à la fin du monde… Ce petit couple tendre, aux antennes de fil de fer, illumine, en reste, une aquarelle de Diego où les lettres, composant le mot avenir, sont constituées de gélules pharmaceutiques. Dans le lieu de documentation de l’Artboretum, « Big Empty Book with a very Long Book-Mark », une couverture de livre surdimensionnée, reprend le rapport de la commission nationale de l’attaque terroriste contre les États-Unis. La couverture, reproduisant en impression numérique l’original, se trouve vide de page. Seul le ruban rouge (marque-page d’édition de luxe) tombe sur le sol. La pelure d’orange est moins douce, plus franche ou plus sanguine. Mais l’énoncé du plus trivial d’une société de plein-pied dans la consommation et les médias de masse, où, avec le numérique, tout est fondé sur le code et le génotype, là où le rouleau compresseur est des plus opérant, dans cette mosaïque dont il est facile de modifier ou de retrancher un élément… Comment voulez vous que l’on soit pris au sérieux ?!! un étage à la maternité vous paierez la sécu ou n’en aurez plus » Prenez vos gilets fluo !DIES SANCTUS SANS LE SOU
L’envers d’une toile se laisse découvrir. Il brise l’espace. Il montre ses fils qui parfois sont imprégnés de dépôts anciens. De temps à autre une inscription se détache.
La face de la toile (l’envers découvert précédemment) « Phi Genocide Dogma » expose la pensée créatrice. Elle émane d’un documentaire, « Reel Bad Arabs », consacré à l’étude de la stigmatisation hollywoodienne des arabes. Elle est dédicacée à son réalisateur Jack Shaheen. Une autre dédicace s’adresse à Laurence Rondoni qui s’oppose aussi à l’idée du choc des civilisations. Elle agit en danse contemporaine en Égypte. Dessins, jours comptés, coulures, recouvrements… procèdent dans l’action. Le grand format vertical et la blancheur arrêtent l’épanchement. Les paillettes désignent l’arrêt sur image. Les étoiles scintillent et saignent. Coca Cola fournit les bulles de la planète.
et en plus vous n’avez pas assisté au vernissage…
Le château de cartes s’est effondré d’un revers d’une main douce et gracile.
Une sirène argentée nimbée de paillettes entonne : « mon homme ma came m’a réservé
On va boire une mousse